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Caveau de Guillaume Tirel
et ses deux femmes
Le plus ancien traité de cuisine en français se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale, à la suite d’un ouvrage médical, intitulé « Enseignemenz qui enseignent à appareiller toutes sortes de viandes ». Ce traité à été écrit vers 1300. Il précède donc de trois-quarts de siècle » Le Viandier » de Taillevent qui est le premier ouvrage connu, en français, traitant uniquement de cuisine.
Taillevent est le plus âgé des quatre frères Tirel qui ont hérité ce nom illustre. Il croyait la gloire d’un roi intéressée à la splendeur de sa table et il s’assimilait aux poètes qui consacrent leur génie à l’éclat d’un règne. Il a ainsi passé sa vie à étudier le mélange des sucs et des substances alimentaires. Avec lui la science du cuisiner, vague et incomplète, devient plus exacte et aussi compliquée que l’alchimie. Il découvre une foule d’ingrédients, crée de nombreuses sortes de sauces et pousse la recherche aux extrémités du bizarre en inventant les « œufs à la broche » et » le beurre rôti » (sic).
Un bibliophile du nom de Jacob nous le décrit ainsi:
« Taillevent doit-être considéré comme l’un des grands hommes du XV ième siècle Il est de petite taille et si gras, si rond du ventre, que de loin il a l’air de rouler plutôt que de marcher. Son énorme tête est coiffée d’un bonnet noir retroussé sur les bords comme un mortier de président : ainsi il ressemble à une marmite surmontée de son couvercle. Son nez a en grosseur ce qui lui manque en longueur ; quant à ses cheveux il ne les montre jamais et il ne se découvre que devant le roi. Il est vêtu d’un pourpoint et de chausses justes, qui ne gênent pourtant aucun de ses mouvements, grâce à l’étoffe de laine souple et moelleuse qui compose sa blanche livrée de cuisinier. Son tablier de toile relevé d’un pan avec une sorte de coquetterie et un coutelas, dans sa gaine de cuir, est attaché à sa ceinture, où sont également pendues une cuillère à pot, une lardoire et une chaîne de tourne-broche « .
Guillaume Tirel, dit Taillevent, naît sous Philippe-le-Bel et vit sous les règnes de Louis le Hutin, de Philippe VI de Valois, de Jean le Bon, de Charles V le Sage et de Charles VI le Fou. Nous ne savon que peu de choses de sa vie privée. Sa date de naissance nous est inconnue ‘ approximativement entre 1310 et 1315. Nous trouvons son nom mentionné pour le première fois dans un état de Jeanne d’Évreux, femme de Charles le Bel: il figure parmi les enfants de cuisine, il a alors une douzaine d’années.
Charles VI
Vingts plus tard, en 1346, il est queux chez Philippe VI de Valois ; en 1349, il passe au service de Humbert, dauphin de Viennois en qualité d’écuyer d’hôtel, puis de queux ; en 1359, il est le queux du duc de Normandie, régent du Royaume pendant la captivité de Jean-le-Bon qui, devenu roi sous le nom de Charles V, l’apprécie et le nomme sergent d’armes en 1368. En 1373, il est le premier queux, c’est à dire chef des cuisines.
Charles VI le promeut écuyer de cuisine et enfin en 1392, il est « Maistre des garnisons » de cuisine du Roi, c’est-à-dire des provisions. Il meurt en 1395.
Il se marie deux fois, d’abord avec Jeanne Bonart qui disparait en 1363, puis avec Isabeau Le Chandelier qui lui survit jusqu’en 1403 ou 1404.
Un fait donne une idée de l’importance du premier queux du Roi à cette époque. En 1349, il décide de fonder une chapelle au prieuré de N.D. d’Hennemont près de Saint-Germain ; l’on a conservé l’acte par lequel le roi autorise son queux de bouche, Guillaume Tirel dit Taillevent, et sa femme, » de fonder, quand il leur plairait, pour leur salut et celui des leurs, une chapelle de 21 livres de rente à prendre sur une maison dite Larchière qu’ils possédaient à Saint-Germain en Laye, sans payer aucun droit d’amortissement « . C’est dans cette chapelle que Taillevent fait construire sa sépulture et celle de ses deux épouses vers 1350. Le Viandier a dut être écrit vers 1380.
Le mot viande a encore son sens latin de vivenda, aliment.
Quatre manuscrits du Viandier sont connus : le plus ancien, conservé à la Bibliothèque Nationale, porte une mention manuscrite indiquant qu’il fut acheté par Pierre Buffant en 1392.
L’auteur se désigne comme « Maistre queux du roi notre sire », fonctions qu’il occupa de 1373 à 1381.
Les trois autres manuscrits sont à la Bibliothèque Mazarine, aux archives de la Manche à Saint-Lo et au Vatican. On peut présumer que le Viandier a été composé par Taillevent à l’instigation du roi Charles V le Sage qui protège les Lettres et les Arts et aime à demander des traités pratiques à ceux de ses sujets qu’il estime compétents.
Le Viandier serait donc antérieur à 1380, date de la mort de ce prince. Dès les débuts de l’imprimerie en France, le Viandier sera édité. La première édition connue semble dater de 1490 ; elle est composée en caractères gotiques ; il y en aura onze autres échelonnées jusqu’en 1520.
Vers la même époque est édité » Le grand cuisinier de toute cuisine » dont les manuscrits ont été perdus. Le texte imprimé a été revu et corrigé par Pierre Pidoult, grand Écuyer de cuisine, comme Taillevent.
On a essayé d’exécuter les recettes laissées par Taillevent ou par ses contemporains : le résultat en a toujours été déplorable. L’historien Alfred Franklin a voulu préparer un canard à la dodine rouge et une galimafrée selon les indications du maistre queux de Charles V.
Ce fut une vraie catastrophe. Voici à titre de curiosité, traduite en langage moderne d’après le manuscrit original, la recette d’un
Blanc brouet de gélines :
« Faire cuire les gélines (*)dans de l’eau et du vin Prendre des amandes, les broyer, les tremper de bouillon et cuire en un pot. Couper les gélines en morceaux, les faire revenir au lard, les mettre dans le potage. Prendre amandes, girofle, poivre long, folion ( ? peut-être du laurier), garingal ( racine de galenga ), safran et sucre. Détremper le tout d’un pot de vinaigre et mêler le tout. Vous aurez un bon brouet.
(*) Géline ( race de poule)
Lait lardé :
Mettre du lait à bouillir D’autre part, battre des œufs avec du gingembre et un peu de safran, faire revenir à la poêle de petites tranches de lard gras. Mélanger les œufs, le lard, avec le lait. Laisser bouillir ; verser cette composition sur une serviette que vous lierez et mettre sous presse une nuit entière. Le lendemain vous le trancherez par lesches que vous ferez frire au saindoux.. Certains ont vu dans ce plat l’ancêtre de notre quiche lorraine.
Œufs rôtis à la broche :
Videz les œufs par de petits pertuis pratiqués aux extrémités. Faites frire au beurre de la sauge, marjolaine, pouliot, menthe et toutes autres bonnes herbes hachées menu. Versez les œufs dans la poêle, hachez le tout sur une planche. Humectez de gingembre, de safran et de sucre. Remettez cette composition dans le coquilles que vous enfilerez sur de petites brochettes fines.
En mettre une douzaine à la broche, à petit feu ».
Le Viandier de Taillevent
d’après l’édition de 1486
en caractères modernes
Certaines sauces sont fabriquées industriellement, si l’on peut dire : criées dans les rues à l’heure du repas, pae de jeunes apprentis, elles servent aux petits bourgeois à assaisonner leur pot-au-feu. Les plus employées sont l’ aillie, composée d’ail pilé avec des amandes délayées d’huile, de verjus, avec ou sans moutarde et aromatisée de divers condiments. et la sauce verte à base de persil, cerfeuil, serpolet, oseille, blé vert, boutons de groseillier, feuilles de vigne, le tout broyé, détrempé d’eau, de vin blanc, de verjus ou de vinaigre, additionné d’oignons, d’échalotes et d’ail.
D’autres sauces sont faites en cuisine, telles :
La cameline : détremper du pain grillé dans du vin rouge. Ajouter une chopine de vinaigre, un quarteron de cinnamone, une once de gingembre et un quart d’once de menues épices . Saler de bonne sorte et passe à l’étamine.
La Jance : broyer au mortier des amandes mondées, les délayer de verjus et de vin blanc avec du gingembre, une once par pinte, passer à l’étamine, faire bouillir un instant dans une poêle en airain ( elle noircirait dans une poêle en fer ).
La Dodine : mettre une poêle en fer sous le rôti pour recueillir la graisse ; ajouter du lait, une once de gingembre, deux ou trois jaunes d’oeufs et faire bouillir. On peut y ajouter du sucre Cete sauce se sert avec des oiseaux de rivière.